Style et smileys
D'où vient l'émoticône (en bon français dans le texte), l'utiliser, est-ce nécessairement un signe d'analphabétisme, comment en user avec bon goût ? Analyse par workingirl, nouvelle venue sur la soucoupe. \o/

Image CC Flickr Leo Reynolds
D’où vient l’émoticône (en bon français dans le texte), l’utiliser, est-ce nécessairement un signe d’analphabétisme, comment en user avec bon goût ? Analyse par workingirl, nouvelle venue sur la soucoupe. \o/
On va commencer la semaine en beauté.
Commençons par une généralité. Internet produisant de nouveaux moyens de communication, il engendre également des formes langagières inédites. Au premier rang desquelles, une source de crispation, un sujet d’interminable polémique : les smileys. Impardonnable faute de goût pour certains, signe de cool attitude pour d’autres, leur usage divise désormais le pays en deux. Ceux qui les utilisent VS ceux qui ne les utilisent pas.
Et la question agite même les milieux universitaires : doit-on croire aux potentialités stylistiques des émoticônes ? De très sérieux universitaires s’y sont intéressés (la preuve en lien).
Un peu d’histoire
En des temps immémoriaux, ils se réduisaient à deux expressions assez  simples.
Il y avait     et   :-(
 et   :-(
On est en 1982, précisément le 19 septembre à 11:44 am et Scott E.  Fahlman, professeur à l’université, vient d’envoyer un message  historique dans lequel il propose l’emploi de ces deux symboles pour  simplifier les communications informatiques. Contrairement aux usages  modernes, il ne s’agissait pas du tout d’une opposition entre content et  pas content. A l’époque, le premier devait servir à préciser que le  message était à prendre sur un ton humoristique alors que le second  était sensé souligner le caractère sérieux du libellé — parce que quand  on est sérieux, on fait la gueule. Distinction effectivement fort utile  puisque la communication exclusivement écrite du web et son emploi  d’expressions orales peut donner lieu à de nombreux malentendus.
Graphisme
Il existe deux grandes familles d’émoticônes : les japonais et les  occidentaux. Les émoticônes japonais sont beaucoup plus expressifs que  les occidentaux (voir  le tableau sur la page wiki).  Autre infériorité des émoticônes  occidentaux : il faut se tordre la tête pour qu’ils prennent sens.
Et si on prend l’exemple de la colère, entre  :-(    et    è_é    y a  pas à tortiller. Ou l’étonnement     et      O_o
 et      O_o
Face aux binettes japonaises, j’ai juste envie de dire \o/ (pour les  plus de 19 ans je précise qu’il s’agit bien sûr d’un bonhomme qui lève  les bras d’enthousiasme).
Utilité
Le smiley a gardé cette utilité de préciser le ton sur lequel prendre le message. En linguistique, on dit que le smiley sert à compenser l’absence de para verbal, c’est-à-dire les intonations, postures, regards de notre interlocuteur. Cette compensation n’est pas négligeable, la communication inter individu s’appuyant autant, si ce n’est plus, sur ce qui est explicitement dit que sur la manière dont c’est dit.
Imaginons une situation de la vie de tous les jours. Un garçon écrit à une fille « va te faire foutre ». Comment doit-elle le prendre ?
va te faire foutre  => discret appel du pied dans une  perspective copulatoire jouant sur la polysémie de la lexie  »foutre ».  (Évidemment, s’il avait écrit ça 3====D c’était tout de suite beaucoup  plus clair.)
 => discret appel du pied dans une  perspective copulatoire jouant sur la polysémie de la lexie  »foutre ».  (Évidemment, s’il avait écrit ça 3====D c’était tout de suite beaucoup  plus clair.)
va te faire foutre :-( => je t’emmerde connasse.
Mais bien sûr on va rétorquer que nos ancêtres s’écrivaient et que Mme  de Sévigné n’a jamais eu besoin de smiley pour se faire comprendre de sa  chère fille. De là, on passe rapidement à l’idée que l’émoticône marque  une défaite du langage verbal, l’incapacité des mots à traduire nos  inflexions. Avant les gens s’exprimaient intelligemment, maintenant ils  sont tellement analphabètes qu’ils ont recours à de ridicules  personnages pour mimer leurs intentions.
Sauf que la vitesse de transmission des messages s’est considérablement  accélérée depuis les pigeons voyageurs ou même les pneumatiques. Et  corrélativement, le nombre de messages. On peaufine moins ses mails  qu’anciennement les lettres. C’est le règne de l’efficacité. Il faut  aller au plus direct et là, l’émoticône a toute sa place. Il permet de  lever en deux touches une possible ambiguïté verbale. Deuxième argument,  le langage Internet, contrairement à l’épistolaire plus classique,  marque une tendance à copier l’oralité, donc des expressions plus crues  et directes qui, transposées à l’écrit, nécessitent une précision (comme  dans l’exemple ci-dessus du « va te faire foutre », que Mme de Sévigné  employait assez peu).
Évidemment, on ne peut pas nier que derrière les smileys, il y a un  problème d’éducation et de niveau social. Leur emploi est perçu soit  comme une invention saugrenue des jeunes, soit comme un signe  d’analphabétisme — avec un recoupement assez facile entre les deux  catégories ;-)  (pour la justification de ce clin d’œil, voir plus bas).  Et en un sens c’est vrai. Les gens qui ne sont pas à l’aise avec  l’écrit auront tendance à multiplier ces signes. Mais ils n’ont  peut-être pas tort. Ils s’assurent ainsi une meilleure communication —  le but de la communication restant avant tout de se faire comprendre.
Notons tout de même que nombre de journalistes ou chercheurs hautement  qualifiés ponctuent leurs blogs de smileys (Narvic, Eolas, Olivier  Ertzscheid) ce qui est sans doute pour eux un moyen plus ou moins  conscient de marquer leur ancrage dans l’univers du Net, la  communication sur Internet n’étant pas une simple transposition sur  informatique de l’écrit papier mais bien une forme d’expression  différente.
Emplois stylistiques
Il y a un code implicite du bon goût régissant les emplois  stylistiques des émoticônes. Si pour les puristes l’apparition d’un :-)  est ontologiquement une faute impardonnable, d’autres acceptent sa  modernité et tentent d’en exploiter la richesse. Il devient ridicule  quand on sent combien telle figure s’insérerait parfaitement dans un  message de ne pas le faire de peur de paraître ringard.
Tout l’art de la chose consiste à jouer sur les degrés de décalage entre  la valeur du smiley et le sens verbal du message qui l’accompagne.
En règle générale, plus l’adéquation entre message et smiley est forte,  plus l’emploi du smiley paraîtra maladroit car redondant (à moins que  le degré de compétence linguistique de l’énonciateur ne suffise à faire  comprendre qu’il feint la maladresse).
C’est toute la différence entre deux réponses à une même question : la  soirée s’est bien finie ?
Réponse 1 :    j’ai vomi :-(
Le smiley ne sert ici qu’à insister sur un état et souligne finalement  la pauvreté du message.
Réponse 2 :   j’ai vomi 
L’apparente contradiction entre les deux enrichit alors considérablement  le message.
Le côté gentillet crétin du :-)  peut également être détourné au profit  d’une bonne vanne, de n’importe quelle blague atroce (par exemple  tournant autour de thème comme la pédophilie) ou d’insanités totales.
- Tu me trouves comment sur la photo ?
- Encore plus moche qu’en vrai 
Un usage ironique des smileys a d’autant plus de force que l’ironie est  un procédé de discours très élaboré – qui marque donc une forte capacité  langagière à l’inverse de l’impression donnée par l’emploi des smileys  (comme incapacité).
Le cas à part du ;-)
Le clin d’œil occupe une place à part dans la mesure où il n’exprime  pas une émotion mais permet avant tout d’atténuer ses propos.
Retenez une règle simple : éviter au maximum de mettre un ;-)  dans un  message ironique. Le propre de l’ironie étant d’être diffuse, un panneau  « c’est de l’ironie » ne fait que souligner que vous n’étiez pas très  sûr de votre effet. En clair, si vous recevez un message avec un ;-)   c’est soit que votre interlocuteur use d’une référence commune (il est  dans une démarche de connivence, une tentative de rapprochement) soit  plus généralement qu’il y a quelque chose dans ce message que vous  auriez pu mal prendre (comme je l’ai employé dans la vanne sur les  jeunes analphabètes).
Billet initialement publié sur Working girl

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